Benjamin Ruer : « Tout le monde peut tirer son épingle du jeu »
Benjamin Ruer est entraîneur en chef de l’équipe de France de para ski alpin. Ancien entraîneur chez les valides, il est arrivé au sein de l’équipe de ski alpin à la Fédération Française Handisport il y a quatre ans en tant qu’entraîneur adjoint, et il est désormais entraîneur eu chef depuis plus trois ans. Quelques semaines après des championnats du monde de para ski alpin plus que réussis (13 médailles dont 7 titres en ski alpin), Benjamin emmène aux Jeux Paralympiques des Bleus qui semblent au top de leur forme, et qui visent les sommets à Pékin. Il nous raconte les coulisses d’un groupe qui se structure de plus en plus au fil des années et qui s’étoffe sportivement, au sein duquel chaque athlète peut viser une médaille.
Benjamin, vous êtes depuis plusieurs saisons entraîneur en chef de l’équipe de France de para ski alpin, pouvez-vous nous présenter votre équipe ?
Ça fait quatre ans je suis dans le groupe de cette équipe. La première année je suis arrivé en tant qu’entraîneur adjoint, c’était une équipe quand même beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui. On avait un technicien, et on était deux entraîneurs, on n’avait pas encore de kiné à temps plein et on avait seulement trois athlètes à cette époque. Petit à petit, l’équipe s’est densifiée avec de nouveaux athlètes, et aujourd’hui ça fait maintenant trois ans quasiment que j’ai repris la tête de l’équipe. On a presque une dizaine d’athlètes qui partent aux Jeux, on est trois entraîneurs, Jeff, Federico et moi, et nous avons deux kinés à plein temps pour pouvoir faire les soins des athlètes sur tous les déplacements et les stages. On a aussi un deux techniciens présents avec nous à plein temps, donc maintenant ça fait une belle équipe autour d’un bon groupe d’athlètes ! On a vu sur les mondiaux en janvier dernier que tout le monde peut tirer son épingle du jeu dans notre équipe, évidemment c’est une dynamique intéressante pour les Jeux !
Et quel est votre rôle au sein de cette équipe, en tant qu’entraîneur en chef ? Vous êtes un peu le chef d’orchestre ?
Oui c’est un peu ça, comme le manager dans une entreprise. Je dois dispatcher les rôles de chacun, ma mission principale reste l’entraînement. Je suis le premier entraîneur sur le terrain avec les athlètes, ça implique de faire les retours aux athlètes, de mettre en place l’entraînement puis tout ce qui va être analyse vidéo l’après-midi etc. J’ai aussi le rôle de préparateur physique des athlètes pendant les déplacements alors qu’ils ont tous un préparateur physique attitré à la maison. Je fais le lien avec ces préparateurs pour assurer la continuité de leur entretien physique sur les périodes de compétition ou de stage.
Ensuite c’est surtout m’assurer que les différents acteurs dans le staff sachent exactement ce qu’ils ont à faire, et en général tout roule ! On a une belle équipe qui fonctionne aujourd’hui donc je n’ai plus trop à m’immiscer dans la préparation des skis par exemple, ou dans d’autres domaines dont les différents membres du staff s’occupent. Pareil pour les kinés, on a juste un échange constant avec les différents membres du staff pour que je sois au courant de tout concernant les athlètes, donner les directives en fonction de ce qu’on recherche... Ensuite j’ai eu la charge de créer le projet sportif qui est maintenant en place depuis plusieurs années pour préparer les Jeux de Pékin qui valideront si notre projet a été le bon, et aussi de gérer tout ce qui est logistique avec le choix de terrain, choix de stage, de déplacement, de journées de ski, de préparation physique… Le tout orienté autour des Jeux, évidemment dans un objectif de performance.
A titre personnel, comment vous en êtes arrivé à travailler avec la Fédération Handisport ? Vous étiez chez les valides auparavant ? Comment on gère cette transition, notamment les différences de handicap qui ont chacun leur spécificité ?
J’ai fait plusieurs dizaines d’années chez les valides avant. Quand on arrive dans le milieu handi, on a l’impression que ça va être compliqué en soi, qu’on aura du mal à retranscrire ce qu’on connaissait chez les valides, mais finalement qu’ils soient amputés d’une jambe, d’un bras ou en fauteuil, les principes du ski et de la performance restent les mêmes. Il faut être capable d’adapter ce qu’on connaît, et de l’adapter aux différents handicaps.
Après on est un petit peu des MacGyver parce que c’est encore un milieu qui est peu développé et pas professionnalisé comme chez les valides ; il n’existe pas de formation d’entraîneur spécifique au para ski, donc on apprend sur le tas, avec l’expérience et ça demande de l’observation, de tester des nouvelles choses puisqu’on pourrait dire que tout est à faire. Chaque handicap est différent, même pour deux athlètes qui ont une amputation tibiale identique, ils n’ont pas exactement la même amputation, pas la même histoire et on ne peut pas retranscrire de la même manière d’un athlète à un autre. C’est vraiment du cas par cas, au niveau technique du ski mais aussi de la préparation physique. Et on a aussi ce volet médical qui est présent, avec les contraintes physiques liées au handicap des athlètes, ce qui fait qu’ils ont besoin de plus de soins.
Avec 13 médailles dont 7 titres en ski alpin aux championnats du monde qui se sont déroulé à Lillehammer il y a quelques semaines, vous arrivez dans quel état d’esprit pour les Jeux ?
J’essaie d’être toujours modéré dans mon discours avec les athlètes, on est tous conscients qu’on a une belle équipe aujourd’hui, qu’on a beaucoup de cartouches qui peuvent vraiment performer et c’est une chance. Je leur dis toujours qu’on arrive avec de la sérénité, on sait ce qu’on a à faire, on connaît notre niveau. Il ne faut pas être trop en confiance non plus puisqu’il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu sur des événements aussi importants et qui restent des courses d’un jour. L’idée c’est de ne pas laisser la chance aux autres, de les mettre en difficulté par notre ski en étant le plus performant possible ; il faut que les autres sachent qu’ils devront venir nous chercher. Ce que j’essaie de leur dire c’est « faites votre ski, n’ayez aucun regret et ce sera aux autres de venir vous chercher et pas l’inverse ».
C’est clair qu’on a des ambitions, il ne faut pas se leurrer, les athlètes ont des ambitions personnelles et nous on a des ambitions d’équipe. On s’interdit de se donner un objectif chiffré, parce que trop de facteurs entrent en jeu, et on ne veut pas commencer à compter avant de commencer à skier. On sait qu’il y a des opportunités à saisir pour certains, des concrétisations à aller chercher pour d’autres donc il faudra y aller sans tabou, et oser faire son ski le jour-J !
Vous avez à la fois un groupe expérimenté avec des athlètes qui sont là depuis longtemps qui ont de grosses ambitions de médailles, mais aussi de la jeunesse avec des jeunes qui viennent d’arriver et qui ont eux aussi beaucoup d’ambition, ça fait un groupe très varié !
Tout à fait, on a tous les âges, toutes les expériences possibles … on aime bien la taquiner là-dessus, on a aussi bien Marie Bochet notre Jeannie Longot (1) du ski, qui n’arrête pas de repousser l’échéance et de chercher de nouvelles victoires. Elle a encore des années devant elle finalement, malgré sa longévité elle est encore jeune. On a aussi des athlètes comme Jordan Broisin, qui est là depuis un bon moment, et qui partage son expérience avec les jeunes qui arrivent depuis quelques années. Les jeunes aussi ont les crocs, ils ont envie de montrer qu’ils sont là, ils ont envie de faire leur place… c’est un groupe au sein duquel il y a une super ambiance, propice à la performance, ils travaillent tous ensemble pour se pousser vers le haut. C’est une émulation collective qui permet de performer individuellement. C’était un des buts de notre projet sportif, d’être tous soudés et dynamiques pour porter tout le monde vers le haut, en sortant d’une logique focalisée sur les résultats individuels, avec une confiance mutuelle totale entre le staff et les athlètes, ce qui est aussi une de nos forces.
Pressesport/Martin Alex - Jordan Broisin, stage France Tignes 2021
Les test events ont été annulées l’année dernière à cause de l’épidémie, comment on aborde des pistes qu’on ne connaît pas ? Ça change l’approche de l’événement ? Est-ce que ça rebat un peu les cartes, ou justement c’est l’expérience qui va parler ?
C’est sûr qu’on aurait aimé aller sur site, pas forcément pour tester la piste davantage, mais parce qu’un événement comme ça c’est beaucoup de stress, on arrive il faut prendre ses marques et c’est vrai que d’y aller un an avant ça permet à tout le monde de prendre des repères en dehors de la période des Jeux, et d’être ensuite plus serein au moment de l’échéance. On va devoir s’adapter en arrivant sur place. Ça va sûrement faire un peu plus de boulot pour nous le staff, puisque ce sera notre rôle de s’occuper de toute cette logistique sur place pour en soulager les athlètes.
Pour ce qui est du test des pistes, il faut savoir qu’avant les compétitions paralympiques on va avoir quasiment une semaine sur les pistes. Ça va nous permettre de nous habituer au revêtement de la neige, à la météo pour pouvoir adapter le fart qu’on applique aux skis, que les athlètes puissent s’adapter aux conditions de neige, si la neige est dure, transformée… Et je pense qu’à leur niveau ça suffit pour s’adapter au terrain. En plus de ça, les premières disciplines c’est la vitesse, et il y aura trois descentes d’entraînement et une journée de ski libre, ça permettra d’emmagasiner des informations et de prendre nos marques avant la compétition, on n’est pas inquiets. Ça se rapproche du fonctionnement qu’on a sur les autres compétitions comme des étapes de Coupe du monde ou des Championnats du monde, et ça s’est toujours bien passé donc on est dans cette idée de ne rien changer à notre routine. En plus de ça, toutes les équipes sauf la Chine sont dans la même situation que nous.
Quel est votre programme en tant qu’équipe jusqu’aux Jeux ? Il y a une vigilance particulière pour ne pas s’exposer au virus ?
C’est sûr qu’en ce moment la hantise c’est un peu de faire un test PCR positif plus qu’autre chose, mais notre programme c’était de faire un dernier stage de préparation à Méribel et Courchevel où l’idée c’est de recadrer un peu les derniers points qui n’ont pas fonctionné, retravailler un peu les bases, remettre son ski en place sur les différentes disciplines qui sont aux Jeux. Pour les quinze derniers jours avant les Jeux, on essaie de faire en sorte que tout le monde joue le jeu et soit rigoureux en se mettant dans sa bulle en voyant le moins de monde possible, pour réduire encore plus ces risques avant de prendre l’avion pour Pékin. Quinze jours d’efforts pour éviter de ruiner quatre ans d’entraînement ça ne semble pas être un gros sacrifice et je pense que ça vaut le coup. Certaines équipes ont décidé de se mettre dans une bulle ensemble sur les dix derniers jours avant le départ, on a préféré le faire individuellement parce qu’un mois tous ensemble ça fait long, donc on laisse chacun se ressourcer de son côté à la maison avec la famille avant de se retrouver en forme pour partir pour Pékin.
(1) A seulement 27 ans, Marie Bochet est déjà présente depuis les Jeux de Vancouver 2010 en Equipe de France paralympique, et disputera ses 4es Jeux Paralympiques
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