Manon Audinet et Quentin Delapierre : voler vers le podium
Manon Audinet et Quentin Delapierre représentent la France en Nacra 17, un catamaran doté de foils qui lui permettent de voler au portant. Ils se sont déjà imposés en Coupe du monde sur le bassin olympique d’Enoshima, sont vice-champions d'Europe 2020, et abordent l’échéance olympique avec de grandes ambitions dans cette épreuve mixte…
Comment êtes-vous venus au Nacra 17 ?
Quentin Delapierre : Le rêve olympique !... J'ai été bercé par les histoires des athlètes olympiques racontées par mon père qui était un véliplanchiste de haut niveau et un grand passionné. Au lieu de me parler de la route du Rhum ou du Vendée Globe, il évoquait des grands marins des Jeux, comme le Brésilien Robert Scheidt (1). J'ai toujours été plus attiré par la régate que par la course au large. Le Nacra 17, c'est un bateau olympique et avec Manon qui connaît bien le support et l’environnement, ça a coché pour moi pas mal de cases.
Manon Audinet : J'ai commencé en catamaran quand j'avais douze ans. J'ai couru dans les séries jeunes. Et j'ai eu la chance que le Nacra arrive. Ça n'était pas gagné, un catamaran aux Jeux Olympiques. Ça s'est présenté devant moi et c'était une suite logique de continuer sur ce support.
J'ai appelé Quentin en me disant "pourquoi pas lui ?"
Vous vous êtes associés en 2018 ?
Q.D. : J'avais un projet sur le Tour de France à la voile. Kevin Peponnet (2), qui était le technicien du bord, avait déjà sauté le pas des séries olympiques, en 470. C'était au début 2018. Voyant que cela marchait fort pour lui, je me suis dit qu'il fallait que je me renseigne pour voir s'il y avait une opportunité. J'ai eu la possibilité de faire des tests sur Nacra 17 avec Manon, qui se sont bien déroulés. Elle avait l'air plutôt contente. Mais je voulais aussi gagner mon deuxième Tour de France à la voile après 2016. Ce qui a été fait. J'ai donc décidé dans la foulée partir en Nacra 17 et de refuser un projet de Multi 50. Je me suis dit que les Jeux, c'était maintenant ou jamais. Il fallait s'y mettre avec quelqu'un d’expérience. La Fédération a investi sur nous sous réserve que nous prouvions sportivement qu’on en valait la peine.
M.A. : Mon histoire avec mon ancien barreur s’était achevée car nous voulions chacun mener un projet de notre côté et j'ai appelé Quentin en me disant "pourquoi pas lui ?". Je lui ai proposé de venir faire un test sur Nacra 17 sur une semaine de stage. Au début, je me sentais un peu hésitante, et une fois qu'il est monté sur le bateau, je pense qu'il a été étonné que ça passe aussi bien. Plus nous avons avancé, plus le projet lui a plu, et nous avons validé notre association pendant l'été 2018.
Vous vous êtes imposés en 2019 en Coupe du monde sur le bassin olympique de Enoshima, racontez-nous.
Q.D. : Nous avons fini la compétition préolympique neuvièmes et un peu frustrés : il n'y avait qu'un bateau par nation ; alors qu'une semaine après, en Coupe du monde, il y avait tout le monde ! Sur cette épreuve, on est partis à l'attaque, on a eu un peu toutes les conditions de mer. Nous nous en sommes plutôt bien sortis. À la veille de la Medal Race, nous étions cinquièmes. Tout était possible, on s'est mis du bon côté du parcours, dans un duel avec le bateau italien champion du monde. On a montré que sous pression, nous pouvions finir devant eux !
M.A. : Oui, on a gagné sans savoir quel était le résultat au moment de franchir la ligne. Notre entraîneur est venu nous voir et nous a dit "Vous avez gagné !". Un moment exceptionnel.
Le Nacra 17 a été modifié depuis les Jeux de 2016, avec des foils droits, et maintenant, il vole. Qu'en pensez-vous ?
Q.D : Je n'ai pas connu l'ancien bateau ! Le fait qu'il vole et qu'il atteigne des vitesses assez élevées m'a beaucoup attiré. La difficulté, c'est de se tempérer, sinon on risque le gros crash. J'ai la chance d'avoir une équipière qui ne tombe jamais. C'est assez exceptionnel. C'est un bateau très plaisant, pointu en termes de réglages. Je n'ai jamais couru sur un bateau aussi dur.
M.A : Quentin a dû réapprendre à naviguer, alors que pour moi, c'était un autre style. Les premières sorties étaient un peu bizarres, on se fait dominer par le bateau avec ces foils qui rendent les choses plus compliquées. Le portant est beaucoup plus dur, c'est un travail de chaque seconde pour bien se synchroniser. Un jeu d'équilibristes. Le bateau reste le même, mais beaucoup de choses ont changé au niveau de l'équilibre et de la vitesse. Il y a de belles sensations, c'est le plus beau bateau des régates olympiques !
"La mixité, pas un problème physiologique, mais une question de discours"
La mixité se répand dans tous les sports. C'est le cas de votre embarcation. Quels sont les avantages ?
Q.D. : La mixité m'interrogeait, je me disais pourquoi pas ? C'est dans l'air du temps. On a un autre regard sur ce que l'on fait, alors que j'avais toujours navigué avec des hommes. Quand je suis arrivé au Nacra, ça n'était pas simple, parce que je n'arrivais pas à mettre la même intensité. Mais je me suis aperçu que ça n'était pas un problème physiologique, c'est une question de discours. Une fois qu’on arrive à comprendre cela, on arrive aussi sur le même type de performance, et ça m'a fait grandir. Manon est très forte pour me recentrer sur l'essentiel. Elle n'a pas un très gros gabarit, mais ce qu'elle envoie physiquement, cela vaut le coup d'œil !
M.A. : Depuis que je fais de la voile, j'ai plutôt navigué en mixte qu'en équipage féminin, donc ça n'était pas quelque chose de nouveau pour moi. Mais voilà, voir que ça arrive, que même les hommes ont l'air contents…On est complémentaires, et c'est top que cela arrive sur de plus gros projets, de plus gros bateaux. Je pense que ça va entrer dans les mœurs tranquillement.
Nous, avec une étiquette de favoris, nous nous serions sans doute déjà vidés le chargeur dans la botte
Vaut-il mieux arriver aux Jeux en outsiders ou avec une pancarte de favoris ?
Q.D. : Nous, avec une étiquette de favoris, nous nous serions sans doute déjà vidés le chargeur dans la botte. Les nouveaux venus se seraient régalés à nous mettre une pression de dingue et on aurait déjoué. Les Jeux auraient eu lieu l'an dernier, nous aurions été de vrais outsiders. Nous le sommes encore cette année, mais avec un palmarès un peu plus fourni. Et c'est génial, nous sentons que nous faisons peur.
M.A. : Je préfère arriver en outsider. C'est moins stressant, et au final on ne peut que faire mieux, alors que quand on est leader, on ne peut que perdre des places. Il y a tout à gagner. Ça nous va plutôt bien. Ce serait mentir de dire que nous sommes des favoris, même si nous avons signé des bonnes performances. C'est comme ça que nous étions arrivés au Japon en 2019 et ensuite au championnat d'Europe. On aime bien le stress de la dernière course pour aller chercher les points qui vont nous faire monter sur la boîte.
KMSP/CNOSF
Vous allez découvrir la grande scène olympique. Quel est votre sentiment ?
Q.D. : J'ai juste envie de profiter de l'instant, d'apprécier le fait que j'ai coché une étape dans ma vie. Mais je n'ai pas envie d'être spectateur de l'évènement. Je veux les vivre dans l'action, en attaquant. Manon et moi avons hâte d'en découdre. Avec mon ami Kevin Peponnet, qualifié en 470 et avec lequel je partagerai ma chambre au Village, on vit un moment exceptionnel. Sur le papier, tous les clignotants sont au vert. Mais après, il faut mettre les buts dans la lucarne ! On va y aller avec la banane !
M.A. : Je pense qu'il faudra réussir à profiter des bons moments, et ne surtout pas réinventer notre mode de fonctionnement une fois que nous serons en action. C'est une énorme chance, il faut la saisir, se donner à fond sans se mettre la pression parce que ce sont les Jeux. Peu d'athlètes ont la chance de participer aux Jeux Olympiques, il faut en être conscient !
Vous connaissez bien le bassin de Enoshima. Qu'y a-t-il à principalement maîtriser sur ce plan d'eau ?
Q.D. : C'est un peu binaire. Il y a parfois un vent de terre qui se faufile entre le relief qui est assez élevé. Et là, c'est un plan d'eau très tactique. Il faut être dans le jeu, pas sur la défensive, accepter de perdre à des moments pour regagner ensuite, se faire plaisir, être bien coordonnés. L'autre penchant, c'est quand le vent vient de la mer. Là c'est tout l'inverse. Il faut être concentré techniquement, passer chaque crête de vague et il y en a à peu près 50 par bord. Ça devient une course de vitesse, très technique au portant pour éviter le crash. Il faut s'envoyer physiquement tout en étant juste sur le réglage des voiles et à la barre. La dernière fois, ça nous a beaucoup plu. J'espère que nous allons retrouver les mêmes sensations.
M.A. : Il faut être super polyvalent, être bon partout, on ne peut pas se dire que l'on va partir pour telle ou telle condition. Ceux qui gagneront seront des athlètes complets qui auront su répondre présents dans toutes les conditions.
Tout jouer sur une seule régate, c'est ce que nous cherchons
Votre objectif, c'est de monter sur le podium ?
Q.D. : Complètement. Une fois sélectionnés, nous nous sommes dit que nous voulions partir au Japon avec des chances de médaille. Sur le papier, nous avons nos chances. C'est à nous de nous exprimer à notre juste valeur, en faisant ce que nous savons faire pour arriver à la veille de la Medal Race en étant en position pour la médaille. Nous ne rêvons de la médaille avant la première manche. Ce que nous voulons, c'est être placés à la veille de la course finale. Tout jouer sur une seule régate, c'est ce que nous cherchons, et notre objectif c'est d'être à l'attaque sur cette dernière course !
M.A. : Carrément. Le même scénario que la dernière fois, arriver sur la régate finale et tout déchirer, ça m'irait bien. Nous pouvons le faire, mais nous devons répéter sur les Jeux tout le travail que nous avons mis en place et ne surtout pas naviguer sous notre niveau. Après il ne faudra pas avoir de regrets si on se dit qu'on a tout donné, même si d'autres sont meilleurs que nous.
- Robert Scheidt, champion brésilien cinq fois médaillé olympique en voile en cinq olympiades de 1996 à 2012.
- Fils de Daniel Peponnet, vice-champion du monde de 470 et neveu de Thierry Peponnet, champion olympique de 470 en 1988 avec Luc Pillot. Il participe aux Jeux de Tokyo en 470 avec Jérémie Mion.
- Ils avaient fini 6e mais Billy Besson souffrait d’une hernie discale et pouvait à peine marcher.
Voile : Lili Sebesi et Albane Dubois sélectionnées pour Tokyo 2020
Réunie le 27 avril, la CCSO a validé la sélection officielle de deux nouvelles athlètes pour Tokyo : Lili Sebesi et Albane Dubois (49er FX)