Manon Petit-Lenoir (snowboardcross) : « Il a fallu que je trime pour y arriver »
Manon Petit-Lenoir a vécu une année 2018 difficile avec une blessure au genou avant les Jeux de PyeongChang et une grave chute aux championnats de France qui aurait pu la laisser paralysée. Depuis, elle a remonté la pente avec une énergie communicative, l’occasion de rêver à une jolie revanche à Pékin en février 2022...
Revenons aux origines. Comment as-tu débuté ta carrière de snowboardeuse ?
Je viens de Samoëns (1) et j’ai commencé par le ski à un an et demi quand j’ai su marcher. Ensuite mes parents m’ont fait faire du ski jusqu’à 8 ans. Ma mère faisait du snowboard en compétition. Mon frère lui faisait du snowboard au club des Carroz, du snowboard cross et les autres disciplines. Moi, je faisais des piquets et j’étais un peu frustrée de voir qu’eux ils s’amusaient alors que moi je devais tourner autour des piquets. Ma mère me disait : « Quand tu auras atteint un bon niveau en ski, tu pourras faire du snowboard. » J’ai passé les étoiles, les flèches, les chamois. Après, je lui ai dit : « C’est bon ». Alors on m’a inscrit en snowboard avec mon frère au club des Carroz qui était à une demi-heure de la maison et j’y allais par les pistes. Au début, j’y allais avec mon frère et puis, assez vite, il a arrêté et moi j’ai continué.
Au début je faisais du boarder et du géant et puis à moment, on m’a demandé de choisir. Comme j’ai vu que le géant n’avait plus trop la cote en France, je me suis spécialisée en boardercross.
Après tu es allée à Chamonix, c’est ça ?
Oui, en troisième, je suis allée au Collège Frison Roche à Chamonix dans une classe sport-études. On allait à l’école le matin ou l’après-midi. Le reste du temps, c’était soit de l’entraînement physique soit du snowboard. Après, au lycée, je me suis lancée à fond. J’étais au Pôle de Saint Michel de Maurienne et là, j’ai passé un bac commerce en quatre ans. L’école s’arrêtait au mois de décembre et on suivait les cours par correspondance. Ca nous laissait le temps d’enchaîner les compétitions. J’ai fait des FIS et des Coupes d’Europe. Et puis j’ai gagné la coupe d’Europe, ce qui m’a permis d’avoir ma place en Coupe du Monde en 2017.
Tu as finalement quitté assez tôt le « nid » familial. Cela s’est fait facilement ?
Oui, moi je suis ultra-famille mais à partir du moment où tu peux rentrer à la maison le week-end et puis maintenant avec les nouvelles technologies, c’est super facile. C’est comme si tu étais avec ta famille…
Te voilà donc sur le circuit du snowboard. Tu dirais que c’est très structuré, que vous êtes pris en charge comme en ski alpin ?
Le ski alpin, je ne connais pas trop. Mais je dirais que moi, je n’ai pas trop connu les années où le snowboard débutait. J’ai plutôt connu la période où le snowboardcross montait en flèche et se professionnalisait vraiment. Je n’ai pas connu la période où on pouvait arriver sur le circuit sans trop s’entraîner. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Moi, je ne faisais pas partie des personnes les plus douées donc il a fallu vraiment que je trime pas mal pour y arriver.
Ta maman a fait de la compétition, elle aussi. A quel niveau ?
Ma mère (Jessica Lenoir), faisait du freeride. Elle partait au Canada, aux Etats-Unis. Elle travaillait pour les marques, elle faisait des vidéos.
Manon aux Mondiaux à Idre Fjall 2021 / Nisse Schmidt/ZOOM/PRESSE SPORTS
Si l’on replonge quatre ans en arrière, tu étais à deux doigts de participer aux Jeux de PyeongChang quand tu as traversé une période assez sombre qui aurait pu très mal finir…
C’est vrai qu’à la fin de 2017, je me suis dit que les Jeux étaient accessibles alors que je n’y avais pas vraiment pensé auparavant. En fait j’avais été blessée au genou et j’ai essayé de faire la saison comme ça. J’ai fait quelques résultats mais je ne suis pas partie aux Jeux ce qui a été une grosse claque. Je me suis entraînée à fond pendant les Jeux mais j’étais au fond du sac. En plus, ma maman était enceinte et j’étais de retour à la maison.
Et puis là, le mois qui a suivi j’ai réussi mon premier podium en Coupe du monde et je me suis dit que je ne m’étais pas battue pour rien. J’étais vraiment contente de me dire que j’avais encore le niveau.
Je me suis cassé deux cervicales, deux autres vertèbres, je me suis déboîté l’épaule et aussi un petit trauma crânien. La totale.
Et puis arrivent les championnats de France…
Oui, c’était le premier avril 2018, pendant les championnats de France à Peyragudes, j’ai eu un gros crash en finale. Je me suis cassé deux cervicales, deux autres vertèbres, je me suis déboîté l’épaule et aussi un petit trauma crânien. La totale.
Et rétrospectivement, on peut se dire que tu as frôlé la catastrophe ?
Je ne m’en suis pas trop rendu compte parce que quand je suis tombée, je me suis vite relevée. Ce n’était pas la folie, je sentais bien que je m’étais bloqué des trucs dans le dos et dans le cou mais bon, je suis rentrée chez moi en faisant huit heures de bus dans la nuit. Ensuite, j’ai conduit ma voiture jusqu’à la maison, je me suis couchée. Et c’est le lendemain où j’ai appelé ma mère. Elle m’a vu toute pâle et elle m’a dit on va tout de suite à l’hôpital. Là ils ont diagnostiqué les fractures (vertèbres C2, T7, T4) et ils ont décidé de me mettre dans un énorme corset. J’étais vraiment furieuse, je voyais tout en noir. Je ne comprenais pas ce qui se passait. La veille je conduisais ma voiture et là j’étais enfermée dans un corset.
Tu avais du mal à réaliser ?
Oui, ce n’est qu’un mois après quand j’ai eu le droit d’enlever le corset. Le médecin m’a dit qu’on allait encore attendre un peu pour que ce soit la neuro chirurgienne qui enlève le corset. Et là, la ‘’neuro chir’’ m’a dit : « Heureusement que tu n’as pas enlevé le corset plus tôt pace que tu as une fracture glissante au niveau des cervicales. Si tu avais fait la folle, ça aurait pu couper les artères du cerveau et tu serais morte.» Et là, je me suis vraiment rendu compte que c’était grave.
As-tu envisagé d’arrêter ?
Je ne me suis même pas posé la question. Mes parents m’ont quand même demandé si je voulais arrêter en me disant que quelle que soit ma décision, ils me suivraient. Maintenant, il faut reconnaître que ma mère, elle ne regarde plus mes courses à la télé. Elle attend le résultat et c’est tout. Et je dois reconnaître que j’étais vraiment bien entourée pendant cette blessure. Ma mère était enceinte et elle a accouché pendant ma récup. Je dois dire que ça m’a bien occupée. On a aussi construit une maison pendant que j’étais blessée. Et puis, il y a une copine (Marion Perez) qui est venue à la maison pour m’aider parce je ne pouvais rien faire toute seule. Elle est entraîneur de la relève et elle connaît bien le snowboard. Ca m’a vraiment aidée.
Je pense que je relativise plus facilement maintenant.
Est-ce que cette longue blessure a changé quelque chose. Est-ce que tu as mûri ?
Oui ça a changé un peu ma vision du sport, ça m’a permis de relativiser à fond. Ce n’est pas parce qu’on va faire une mauvaise course qu’il faut se mettre au fond du sac. Je me suis aussi dit que plus jamais il fallait que je me plaigne de quoi que ce soit. Du mauvais temps ou autre. Bon en fait, on se plaint quand même. Je pense que je relativise plus facilement. Cela m’a appris aussi que j’aime beaucoup mon sport et que je voulais me battre jusqu’au bout.
Comment ça se passe après un tel coup d’arrêt ? Il faut repartir à zéro ?
Déjà je me suis mise à m’investir davantage dans le travail mental. J’avais déjà un coach mental mais là j’ai bossé sérieusement pour essayer de vaincre mes peurs. Physiquement, je suis quasiment repartie à zéro parce que j’avais perdu 10 kilos avec le corset. Je ne suis pas trop épaisse à la base mais là, je ne ressemblais à rien. Il faut réapprendre à tourner la tête, réapprendre à faire du sport. C’est un gros travail. Après, on arrive sur la neige où il faut se relancer et finalement je n’ai pas eu tellement peur. C’est revenu ultra-rapidement. Dès le mois de décembre 2018, j’étais en coupe du monde (3).
Est-ce que tu t’es interrogée sur la dangerosité de ton sport ?
Oui, on est conscient. On sait qu’un jour, tu peux te lever et tout est nickel et le lendemain, tu tombes et tu te retrouves tout en bas. On le sait. On s’entraîne pour et si on fait ce sport-là, c’est qu’on l’a accepté.
Il y a eu une évolution tout de même avec l’arrivée des airbags en skicross.
Oui, mais nous, on ne peut pas utiliser des airbags parce qu’ils se déclenchent trop facilement. Maintenant je n’ai pas envie d’arriver dans un schéma où on fait trop attention à la blessure car on est en train d’arriver à un excès de sécurité. Moi, pour m’être blessée sérieusement, je sais les risques que cela représente mais je n’ai pas envie d’évoluer sur des pistes toutes plates. C’est un peu frustrant.
Crédit photo: FFS / Agence Zoom
Tu fais peut-être allusion à Pékin, où vous avez pu tester la piste des Jeux en début de saison ?
Ah, oui. J’’ai été vraiment déçue parce que certaines années, on avait des parcours très beaux, très techniques. Mais maintenant on rentre sur des parcours où la FIS veut supprimer la vitesse. Il y a des virages qui remontent ! On a beau leur démontrer par a+b que ce n’est parce qu’il n’y a plus de vitesse qu’on ne peut pas se blesser, c’est vraiment une tendance. J’étais ultra déçue. C’était pareil à Montafon en Autriche. Les pistes ne sont pas techniques et moi, ce que j’aime justement, ce sont les pistes techniques. Je ne fais pas partie des filles les plus lourdes et les parties de glisse, ce n’est pas mon point fort. Je suis un peu frustrée et j’espère qu’ils vont modifier les choses en Coupe du monde.
Et la piste de Pékin, ils peuvent la modifier pour les Jeux ?
Déjà, ce ne sera pas possible de modifier la pente ! Et il n’y a pas beaucoup de pente. La station est visiblement sortie de terre comme un champignon. Quand on est arrivé là-bas, il n’y avait qu’une piste et il font cracher les canons jour et nuit. Il n’y a pas de neige. Il doit tomber six centimètres de neige cumulés dans l’année. Ce qu’ils peuvent faire, c’est rendre la piste un peu plus rapide en plaçant des virages dans le sens de la pente. Sinon, le spectacle ne ressemblera vraiment pas à ce qu’on avait vu à PyeongChang ou à Sotchi.
Est-ce que les athlètes ont leur mot à dire ?
Oui et non. En plus, il y a plein d’athlètes qui aiment les pistes plates parce qu’elles leur conviennent. Il est clair que l’équipe de France a dit ce qu’elle en pensait mais toutes les nations ne sont pas forcément d’accord.
J’aime tous les sports. Du moment que je peux me dépenser, je suis contente !
Pour sortir du cadre de la piste, est-ce que tu aimes aussi aller rider hors-piste? La poudreuse ?
Ah, j’adore. Moi, c’est simple, j’aime tous les sports. Du moment que je peux me dépenser, je suis contente. Après, on n’a pas vraiment le temps d’aller faire du freeride pendant la saison. Soit quand on rentre, il n’y a pas de neige. Soit, on est épuisés par une longue tournée de compétitions et on n’a pas trop le goût à ça.
Mais par exemple, la saison dernière où les stations étaient fermées alors qu’il y avait pas mal de neige, j’ai fait un pump track (4) dans le jardin. J’aime trop la glisse.
As-tu le temps de faire autre chose que du snowboard ?
Oui, avec ma blessure, j’ai repris les études à l’Université Annecy. J’ai obtenu un DUT de Techniques de Commercialisation l’été dernier. Là, avec les Jeux, je fais une pause et j’envisage peut-être de me lancer dans la psychologie. C’est vraiment un domaine qui m’intéresse beaucoup.
Psychologue du sport?
Non, je ne suis pas sûre d’avoir envie de travailler forcément dans le milieu du sport dans ma vie d’après. En tous cas, je ne me rêve vraiment pas en coach de snowboard.
Et les Jeux Olympiques, ils te font rêver ?
Oui, c’est clair. Je suis fan de tous les sports. Il y a quatre ans, je pleurais devant ma télé mais j’ai tout regardé. J’adore suivre le skicross, le ski de bosses, le ski alpin, le biathlon. Je suis fan. Forcément, depuis le temps je connais pas mal d’athlètes, donc je m’identifie à eux. Et puis, il y en a pas mal que j’ai croisés dans les centres de rééducation…
En Chine, tu as pu tester leurs mesures liées au Covid 19. Apparemment, ça ne rigole pas…
Ah, oui. C’était quelque chose. On peut dire que c’était une expérience de vie. Avant de partir, il fallait remplir des montagnes de papier. Il fallait leur envoyer tous les jours notre température. C’était prenant. Là-bas, test covid tous les jours. On n’avait pas le droit de sortir de l’hôtel, on croisait des gens habillés en combinaison intégrale. Mais bon, je suis quand même impatiente de retourner là-bas. Ça ne m’a pas refroidie.
(1) Samoëns est située en Haute-Savoie près de Cluses et la station est reliée au « Grand Massif » : Flaine, Morillon, Les Carroz d’Arâches, Sixt-Fer à cheval.
(2) Karine Ruby a été la première championne olympique de snowboard à Nagano en 1998 et Isabelle Blanc lui a succédé en 2002. Karine est morte en 2009 en chutant dans une crevasse.
(3) En décembre 2018, Manon revenait en Coupe du Monde (9e à Cervinia) avant de se blesser à nouveau fin 2019 (luxation de l’épaule).
(4) Une pump track est une piste faite à la main dans son jardin avec des bosses et des virages relevés.