Marie Bochet : « J’arrive assez reposée et ressourcée »
Marie Bochet s’est taillée depuis son adolescence un des plus grands palmarès du para ski français. A seulement 28 ans, les Jeux de Pékin seront ses quatrièmes, alors qu’elle est déjà octuple championne Paralympique, et 22 fois championne du monde. 12 ans après Vancouver où elle arrivait comme « l’enfant du groupe », aujourd’hui ce sont les plus jeunes qui profitent de son expérience. Et elle n’est pas encore tout à fait rassasiée.
Comment as-tu commencé le ski ? Tu étais en club ? Ensuite comment as-tu commencé la compétition para sportive ?
J’ai commencé le ski toute petite parce que j’ai grandi en Savoie, dans la vallée du Beaufortain, avec trois stations à 20 minutes de la maison. Déjà le ski est un peu le sport scolaire, j’y allais avec l’école mais aussi avec ma famille. J’ai un grand frère qui est rentré avant moi au club des Sports des Saisies, et je l’ai suivi vers 5-6 ans, un peu comme tous les enfants de mon âge dans le coin.
Pour les compétitions para sportives ça s’est fait à mon entrée au collège, quand j’avais la possibilité d’intégrer la section ski-études du collège, il y avait des tests, et on m’a parlé du parasport en se disant que ce milieu existait et qu’il était fait pour moi. J’atteignais un plafond avec les valides, puisque je pousse moins fort au départ, il commençait à y avoir un petit décalage dans ma progression. J’ai été bien accompagnée, le coach de la section valide était volontaire, il avait envie qu’on essaie ça. J’ai fait mes quatre années au collège à Beaufort, à cinq minutes de la maison. Au lycée j’ai eu l’opportunité d’aller au Pôle France d’Albertville, et c’était la première fois qu’une athlète en situation de handicap demandait à rentrer dans une section valide au niveau national. Il y a eu beaucoup de discussions, parce que la sélection est assez drastique pour tout le monde, et il a fallu ouvrir un quota pour moi l’année où je suis arrivée. C’était l’année juste avant Vancouver, j’étais déjà en équipe de France, je faisais déjà des courses internationales, mais comme c’était une première il y avait pas mal d’interrogations.
Tu as ouvert la voie à d’autres para athlètes ?
Il y a Arthur Bauchet qui est arrivé après moi, et il a été accepté avec un peu plus de facilité puisque j’étais passée avant. Je sais qu’il y avait eu beaucoup de discussions à mon entrée en seconde, mais une de mes plus belles victoires, ça a été le bilan de fin d’études où on m’a dit “si c’était à refaire, on le ferait avec plaisir” et je me suis dit “voilà, là on a ouvert les portes”. Pendant ma scolarité j’ai fait les Jeux de Vancouver, et quand je suis sortie il y a eu ceux de Sotchi. J’avais réussi à m’accrocher aux filles valides, à faire la préparation avec elles, ça ne demandait pas une énorme adaptation non plus puisque j’ai un handicap qui me permet quand même de faire pas mal de choses avec tout le monde. Ils se sont rendu compte que je n’étais pas une contrainte et qu’ils n’avaient pas trop à changer leurs plans, mais voilà il a fallu un peu forcer les choses.
Pressesport/Martin Alex - Marie Bochet, stage Tignes 2021
Tu peux nous expliquer dans quelle catégorie tu concours aux Jeux, et dans quelles disciplines ?
Je suis en LW 6/8-2, dans la catégorie debout. Je cours avec toutes les catégories de personnes qui skient sur leurs jambes. Ma catégorie c’est amputation ou malformation d’un membre supérieur en dessous du coude. On a le droit d’avoir une prothèse, mais pas d’avoir un bâton au bout, je skie donc avec un seul bâton dans ma main valide. On est les moins handicapés puisque on est chronométrés en temps réel, le coefficient ne touche pas notre chrono. Quand j’étais plus jeune j’étais très axée sur la technique, parce que ce sont les disciplines de base qu’on pratique depuis qu’on est enfants, alors que les disciplines de vitesse demandent pas mal d’expérience, de passages et de kilomètres sur les pistes à très grande vitesse. C’est venu un peu plus tard et je crois que plus je vieillis, plus j’apprécie les épreuves de vitesse. J’ai du mal à faire un choix, les épreuves techniques comme de vitesse sont différentes et complémentaires, c’est pour ça que je prends plaisir à toutes les courir, mais je suis contente de ne pas avoir eu à choisir.
Ce sont tes 4e Jeux, comment tu les abordes, à 28 ans avec maintenant 3 éditions des Jeux derrière toi, et comparé à des Jeux de Vancouver où tu découvrais les Jeux à 16 ans ?
Il n’y a plus beaucoup de surprises, même si cette édition chinoise risque d’être un peu particulière, je ne suis pas du tout stressée par ce que je vais trouver là-bas, c’est hyper confortable. Je n’ai plus vraiment cet état d’esprit où tu ne sais pas trop à quoi t’attendre… maintenant j’ai la chance d’avoir vécu toutes ces expériences, et ça m’apporte beaucoup de sérénité ; les Jeux de Vancouver étaient assez frustrants, et ensuite Sotchi et Pyeongchang ont été incroyables. Maintenant j’ai juste envie de vivre ces Jeux pour moi, de profiter de l’événement, de me faire plaisir.
Physiquement je suis plutôt en forme, psychologiquement ça va aussi.
Tu arrives aux Jeux après des Championnats du monde réussis en guise de préparation avec 4 médailles dont 2 titres…
Je sors des Championnats du monde avec des médailles mais aussi avec un petit souci à l’épaule. Ça a un peu contrarié la préparation, les plans pour la période entre les Championnats du monde et les Jeux ont été chamboulés par cette épaule qui m’a tenue éloignée des piquets. La guérison va dans le bon sens, je ne sais pas si je serai à 100% au niveau de l’épaule mais je me dis que ça peut être un mal pour un bien. Parfois on s’éparpille, on en fait trop, là j’arrive assez reposée et ressourcée. J’ai quand même pu m’entraîner un petit peu, physiquement je suis plutôt en forme, psychologiquement ça va aussi, donc je prends ça avec pas mal de philosophie, et surtout je reste sur de belles sensations aux championnats du monde, j’ai prouvé que j’étais encore capable de faire de belles choses. Je prends tout étape par étape, ça évolue plutôt bien donc je ne m’inquiète pas trop. J’ai même l’impression que cette petite frustration me met en appétit pour les Jeux.
Comment ça se passe au sein de l’Equipe de France ? Vous avez un groupe très solide avec beaucoup d’athlètes, des jeunes comme d’autres plus expérimentés.
C’est drôle parce que par rapport à Vancouver je tiens vraiment le rôle inverse ! Je suis devenue la plus expérimentée alors qu’à Vancouver j’étais l’enfant du groupe. C’est chouette parce que maintenant les autres profitent de mon expérience, quand ils se posent une question c’est vers moi qu’ils se tournent. C’est bien d’avoir des profils différents comme ça parce que ça amène cette fraîcheur, mais aussi une certaine émulation. On a vu qu’aux Championnats du monde ça s’était super bien passé entre les groupes de ski nordique, de ski alpin et de snowboard, on a déjà un peu vécu tous ensemble et il y a une vraie entente.
Les test-events n’ont pas pu se dérouler à Pékin, est-ce que ça affecte ton état d’esprit ? C’est différent d’arriver sur une piste que tu n’as jamais skiée ?
Oui clairement ça change la donne, il y a quand même cette inconnue. On a la chance d’avoir pu voir les athlètes olympiques passer avant nous puisqu’on sera sur la même piste, même si on sait que la télévision écrase pas mal le relief, et qu’on n’a pas le revêtement sous les pieds, mais ça nous donne quelques infos. Ça ne me stresse pas trop, en janvier par exemple on ne connaissait pas du tout la piste des championnats du monde. Il n’y a que les Chinois qui la connaissent, les autres nations on va arriver dans les mêmes conditions sur la piste et la découvrir.
En termes de Jeux Paralympiques, il y a de grandes chances que Pékin soient mes derniers.
Comment tu as vécu ces deux dernières années pour t’entraîner avec toutes les restrictions, c’était compliqué ?
Le premier confinement il y a deux ans est tombé un peu à point nommé pour moi à vrai dire. On était en fin de saison, il ne restait que les finales de la Coupe du monde, j’étais épuisée et finalement plutôt contente de pas avoir à pousser la saison plus loin, ça s’était arrêté sur un bon classement général pour moi, donc ça m’allait bien [NB : elle remporte le classement général].
J’avais besoin d’être à la maison, chez moi, de prendre conscience de tout ce que j’ai à côté du ski. Ensuite quand on a repris le ski, la préparation, et les premières compétitions c’était compliqué. On était soumis à des tests PCR à chaque stage, les déplacements étaient beaucoup plus compliqués, il fallait en permanence s’adapter, ce qui n’est pas mon fort donc j’ai dû travailler là-dessus aussi ! Sur la période avant de partir à Pékin on s’est aussi mis une grosse pression, que ça soit sur les athlètes ou le staff on s’est plus ou moins « confinés » chez nous tout en continuant l’entraînement. Tout ça donne un contexte hyper stressant et j’ai hâte que ça se termine pour retrouver une vie un petit peu plus normale.
A titre personnel, comment tu te sens par rapport à ta carrière ? est-ce que tu te vois continuer jusqu’à Milan-Cortina ?
En termes de Jeux Paralympiques, il y a de grandes chances que Pékin soient mes derniers. Quatre Jeux Paralympiques, ça commence à faire quelques années sur le circuit, et je sors de deux saisons quand même compliquées psychologiquement, avec presque un dégoût de la compétition, je n’étais pas bien pendant les déplacements, quand je devais partir de chez moi… ça a été très compliqué. J’ai poussé jusqu’à ces Jeux, en me disant “je ne peux pas arrêter comme ça”. Finalement tout est en train de s’aligner, la saison se passe bien et je prends à nouveau du plaisir, je me sens bien avec l’équipe et j’ai vraiment envie d’aller aux Jeux et de me prouver que je suis encore capable de gagner. Je ne suis vraiment pas sûre de continuer longtemps après les Jeux mais je ne prendrai pas cette décision juste après, parce que c’est important de se reposer, de laisser passer du temps pour digérer.