Ski : "On est sur une rampe de lancement pour Pékin 2022"
Fabien Saguez, directeur technique national (DTN) de la Fédération française de ski depuis 2006, revient pour nous sur une saison particulière marquée par la Coupe du monde remportée par Alexis Pinturault en ski alpin sans oublier les beaux succès des filles du freestyle, la relève en biathlon ou les retraites des slalomeurs. Totalement tourné vers l’échéance olympique de Pékin 2022, il envisage ce futur proche avec un optimisme raisonné…
Comment pouvez-vous résumer cette saison 2020-2021?
D’une manière générale, avec la mise en place des protocoles avec les tests Covid systématiques, les bulles sanitaires isolant les différentes populations, les restrictions au passage des frontières, le huis clos, la saison a été exceptionnelle et particulière. Une fois les habitudes prises, la saison s’est bien déroulée. Globalement sur l’ensemble des disciplines de la fédération, il y a eu 25 % d’épreuves en moins que d’habitude.
On a eu également une légère baisse du nombre de podiums français (Coupe du Monde et Mondiaux) : 92 au total contre un peu plus d’une centaine les années précédentes…
Oui mais pour moi la saison a été fructueuse notamment lors des championnats du monde. Il ne faut pas oublier que Martin Fourcade a pris sa retraite la saison dernière et qu’il était un impressionnant pourvoyeur de podiums. On peut citer aussi Pierre Vaultier, double champion olympique de snowboard, qui a mis un terme à sa carrière même s’il était souvent blessé ces dernières années.
Pour vous, quels ont été les moments les plus marquants ?
Il y en a quatre ou cinq qui me viennent en tête. Le Globe au général pour Alexis Pinturault, le double titre de champion du monde de Mathieu Faivre à Cortina, la médaille de bronze du relais en ski de fond, la victoire d’Emilien Jacquelin en poursuite aux Mondiaux de Pokljuka en biathlon, et puis des moments très forts en émotion comme l’annonce de la retraite de Pierre Vaultier ou celles des deux slalomeurs Julien Lizeroux et Jean-Baptiste Grange qui marquent la fin d’une ère.
Et du côté des filles ?
Les performances sont également remarquables mais plus dans la lignée de ce qu’elles ont déjà fait. Il est sûr que Perrine Laffont continue sur les bases d’une carrière exceptionnelle compte tenu de son jeune âge. Tess Ledeux a réussi une grande saison malgré la douleur qu’elle a connue en perdant son père, et Alizée Baron est revenue au plus haut niveau après une blessure au dos.
La réussite d’Alexis Pinturault valide également la décision de l’aider à monter une structure particulière pour qu’il soit encore plus performant…
Je pense que tout le monde, dans toutes les disciplines, désirait qu’il parvienne à gagner le gros globe. Tout le monde le désirait pour lui et pour valider un système. On l’a vécu dans l’émotion d’un final hallucinant avec cette victoire en géant le jour de son anniversaire. C’est une sorte d’aboutissement qui vient récompenser une intelligence collective mise au service d’un champion.
Y-a-t-il un domaine dans lequel il vous a particulièrement impressionné cette année ?
Ce qui m’impressionne le plus, c’est cette capacité qu’il a aujourd’hui à être fort (voire très fort) dans les moments difficiles, quand il est moins bien physiquement ou moins bien psychologiquement. Je pense qu’il a franchi un cap en atteignant un des objectifs de majeurs de sa carrière. Je pense que ça va être une source de libération.
Il a vécu une saison en deux temps où on l’a vite considéré vainqueur du gros globe alors que la concurrence n’avait pas du tout abdiqué…
Oui, absolument. Ça a été très lourd à porter pour lui, surtout après le coup d’arrêt de la deuxième manche du géant de Cortina où il avait le titre à portée de main et qu’il est sorti. Même si on était ravi de la victoire de Mathieu Faivre, cela a été très difficile pour Alexis. Après s’être cassé les dents huit ans de suite sur Marcel Hirscher, il a échoué de peu en 2020 après une saison raccourcie, il a su parfaitement rebondir cette année.
Alors que se profilent déjà les Jeux d’hiver de Pékin, on a du mal à se projeter alors que ceux de Tokyo 2020 n’ont pas encore eu lieu. Comment voyez-vous les choses ?
Moi, cela fait trois ans que je me projette sur Pékin. Je suis déjà allé en voyage d’observation là-bas. On échange de manière hebdomadaire avec les différents acteurs pour glaner des infos, sur les conditions sanitaires que l’on peut envisager. C’est l’objectif majeur des quatre ans. On observera attentivement la manière dont vont se dérouler les Jeux d’été. On en tirera très vite les enseignements.
Est-ce que les skieurs ont été impactés par le huis-clos ?
J’ai trouvé les athlètes extrêmement focalisés sur ce qu’ils avaient à faire. Le contexte était différent et ils ont immédiatement intégré qu’ils allaient vivre une saison à huis clos. Paradoxalement, l’absence du public a favorisé la circulation sur des sites où il y a habituellement beaucoup de contrôles et une foule sur des espaces un peu restreints. En revanche, les organisateurs ont énormément souffert de l’absence de recettes liées au public. Mais au vu des messages qu’on a reçus et des audiences télé, on peut imaginer qu’on a donné énormément de bonheur à ceux qui nous suivent.
Comment abordez-vous l’échéance olympique de 2022 ?
Je pense que globalement on est dans la position où on espérait se trouver. Après la très bonne saison qu’on vient de vivre, on est sur une rampe de lancement pour les Jeux de Pékin. On connaît les domaines où on est solides et ceux où on peut viser les médailles. Il faudra effectuer une bonne préparation finale et tout faire pour être forts mentalement dans un tel événement qui démultiplie les émotions.
Là encore, Alexis Pinturault sera très attendu. Doit-il délaisser la Coupe du monde la saison prochaine ?
Une fois encore je pense que la conquête du gros globe cette année va le libérer. Pour en avoir discuté avec lui, il est vraiment tourné vers les Jeux de Pékin. Ensuite, il va essayer d’être performant lors de chaque course parce que ça, c’est dans son ADN. Il va essayer d’arriver dans de bonnes prédispositions parce que dans les grands événements, il n’y a jamais de course facile. Il faudra être fort mentalement
Y-a-t-il des enseignements à tirer du relatif échec de Cortina ?
Aux Jeux, il a toujours répondu présent. Il a déjà remporté une médaille d’argent et deux médailles de bronze (1). Son statut est différent aujourd’hui par rapport à ce qu’il était à l’époque. C’est là où il devra être fort. Il faudra qu’il soit libéré comme il a pu l’être cette année lors du combiné de Cortina.
Et à part Alexis, où se situent les chances de médailles du ski français à Pékin ?
Il y en a pas mal en ski alpin avec les garçons et Tessa Worley. Dans les autres disciplines je pense à Perrine Laffont et Ben Cavet en ski de bosses, à François Place en skicross , Antoine Adélisse ou Tess Ledeux en freestyle, Emilien Jacquelin, Simon Desthieux, Quentin Fillon Maillet et les filles en biathlon. En ski de fond, on pourra compter sur Maurice Manificat, Richard Jouve et Lucas Chanavat. On peut être raisonnablement optimistes…
- Alexis Pinturault a terminé 3e du géant à Sotchi et à PyeongChang, et 2e du combiné à PyeongChang.