Barcelone 1992, l’auberge espagnole
15 min
4 min
Barcelone 1992, l’auberge espagnole
La médaille d’or de Marie-José Pérec, la Dream Team, l’ambiance festive, une cérémonie d’ouverture grandiose, le soleil, l’émergence d’une nouvelle génération de sportifs français… Les raisons de se souvenir des Jeux de 1992 sont légion. Il y a trois décennies, Barcelone était, plus que jamais, une fête. Trente ans plus tard, les athlètes français nous racontent Barcelone 1992 de l’intérieur et refont l’histoire de ces jeux légendaires.
Le casting
David Douillet, judo, médaille de bronze dans la catégorie des poids lourds.
Cathy Fleury, judo, médaille d’or dans la catégorie des poids mi-moyens.
Sébastien Flute, tir à l’arc, médaille d’or en individuel.
Jean-Philippe Gatien, tennis de table, médaille d’argent en simple.
Claude Issorat, para athlétisme, deux médailles d’or, deux médailles d’argent.
Patricia Picot, escrime-fauteuil, médaille d’or en fleuret individuel, médaille d’argent.
Pascal Pinard, para natation, cinq médailles d’or, une médaille d’argent, deux médailles de bronze.
Jackson Richardson, handball, médaille de bronze.
Laurent Tillie, volley-ball.
Francisco Trujillo, para cyclisme, médaille d’or en course en ligne.
Le village mondial
Laurent Tillie : Barcelone, ce sont les premiers jeux où tous les pays sont là, il n’y a pas de boycott. Pour la première fois de l’histoire, certains anciens pays de l’URSS (Lituanie, Lettonie et Estonie) participent à la fête en tant que nations indépendantes. L’ouverture était grandiose, magnifique. Mon frère Patrice faisait partie de l’équipe de France de water-polo. Défiler avec mon frère dans le stade olympique de Montjuic, porter ensemble le canotier et le costume, c’est une grande fierté. En plus, ça fait une super photo de famille.
Sébastien Flute : J’avais 20 ans, c’était un moment d’euphorie. Dans ce chaudron, tu réalises que tu participes à quelque chose de grandiose. C’est une très belle fête. Et puis c’est un archer qui avait allumé la flamme, je me souviens encore de la flèche qui passe au-dessus de la vasque, en tant que tireur, j’étais très séduit par le symbole. Ça n’a fait que renforcer le côté magique du moment.
"L’arrivée au village, c’était un moment incroyable" - S. Flute
David Douillet : Dans le village olympique, je comprends immédiatement une dimension essentielle de l’olympisme. Il n’y a pas de stars. Les sportifs les plus connus, les tennismen, les basketteurs fréquentent tout le monde. Tous sont logés à la même enseigne, mangent dans le même réfectoire. C’est la magie des jeux.
Sébastien Flute : L’arrivée au village, c’était un moment incroyable. J’étais comme un gamin dans un magasin de jouets.
Laurent Tillie : Quand on entre dans le village, on a la sensation que le monde entier est là, et qu’il s’arrête pendant 15 jours pour le sport. C’était extraordinaire, il y avait une impression d’ouverture et de joie.
David Douillet : Dix mille athlètes, de pays, sports, cultures et religions différents représentent le monde entier et ils vivent en toute quiétude et en toute paix ensemble pendant 15 jours. Ils mangent ensemble, ils se parlent, ils dorment ensemble. Et en plus, ils offrent au monde un magnifique spectacle. Si ça n’est pas le plus bel exemple d’humanisme qui puisse exister, je n’y comprends rien. Cette dimension de l’olympisme, je l’ai comprise à Barcelone. Je ne l’avais pas appréhendée tant que je n’avais pas foutu les pieds physiquement dans le village, mais il se passe un truc magique. À l’époque, j’ai 23 ans, je réalise ça et je suis très heureux. Du coup, ça devient une source de motivation supplémentaire, je me dis : “Je ne peux pas repartir de là sans avoir une breloque.”
Grosses perfs
Pascal Pinard : J’arrive à Barcelone en totale découverte. C’étaient mes premiers Jeux, j’y allais complètement décontracté, je n’avais pas la boule au ventre en Catalogne, je voulais seulement profiter. Finalement, j’ai ramené huit médailles de là-bas, je faisais une breloque par jour ! Ma femme et mes deux enfants étaient dans les tribunes, et j’étais complètement relâché. Je ne sais pas si c’est leur présence qui m’a donné de la force, mais tout semblait fluide, évident, quand j’étais dans l’eau. Je n’ai pas retrouvé une sérénité analogue sur les Jeux d’après.
Patricia Picot : Cette compétition a marqué un tournant pour moi, dans le sens où, avant, j’étais tout le temps stressée pendant les championnats. Je vomissais mes tripes. Ce qui est assez étrange, c’est que mes succès à Barcelone ont changé tout le reste de ma carrière, ça ne m’est plus jamais arrivé, ni pendant la compétition ni après. J’ai pourtant mal commencé l’épreuve : en poules, j’étais très mal classée, chaque match jusqu’à la finale était très serré. Et puis pour la médaille d’or, j’ai battu une autre Française : Josette Bourgain.
Francisco Trujillo : Moi, je courais déjà comme un vieux renard ! Il y avait une bosse sur le circuit à 300 mètres de l’arrivée. À chaque tour, je faisais des essais. Un coup, je montais sur le plateau 17, un coup sur le 18 pour prendre le pouls avant l’arrivée sur le final. Après ces essais, j’ai décidé de mettre mon braquet pour l’arrivée. J’étais devant avec un Autrichien qui était très fort. Lui, il a voulu monter sur le plateau. Mais quand il est arrivé au sommet, il avait le couteau sous la gorge. Moi, arrivé en haut, comme je n’avais pas mis le plateau, j’ai pu mettre un coup de rein ! Je l’ai relégué à 100 mètres et j’ai gagné.
"C’était le feu dans les tribunes" - C. Fleury
Claude Issorat : Je gagne l’or sur 100 et 200, mais c’est le 1500 mètres qui m’a le plus marqué. J’ai toujours bien su sentir la course, j’ai attaqué le Suisse Franz Nietlispach à 600 mètres de la ligne d’arrivée et j’ai résisté à son retour dans la dernière ligne droite.
Cathy Fleury : Mon premier prof de judo avait rempli un bus de supporters qui étaient venus me voir. Ils avaient amené des banderoles, ils étaient là toute la journée…C’était le feu dans les tribunes quand j’arrivais sur le tatami. Ma finale était très serrée. C’était une victoire au drapeau : un rouge, un blanc. On n’a pas livré un grand match toutes les deux, on était sur la réserve.
Sébastien Flute : J’avais beaucoup travaillé en amont. D’accord c’était les Jeux, il y avait une attente, un public. Mais ça restait une compétition de tir à l’arc, et je sortais d’une grosse saison. J’avais été champion d’Europe un mois plus tôt. Ça n’est pas parce que c’est les Jeux que les cibles sont plus loin. Ce sont les mêmes adversaires. Il fallait normaliser l’événement pour ne pas se faire bouffer par l’émotion des jeux. Or, pour une discipline comme le tir à l’arc, le contexte change pas mal. On n’a pas tous les jours l’attention médiatique sur nous et 4000 spectateurs dans les tribunes. Le scénario du match était hyper disputé, ça a tenu les gens en haleine. J’étais mené, je suis revenu au contact. On aurait voulu scénariser le match pour en faire un match à suspense, on l’aurait écrit comme ça. Cette médaille d’or, elle a récompensé ma performance, mais elle a aussi fait connaître ma discipline.
Jean-Philippe Gatien : En huitièmes, en quarts et en demies, je remporte mes matchs de haute lutte. À chaque fois en cinq sets. En finale, j’affronte Waldner, le Suédois. C’est un des joueurs européens les plus talentueux de l’histoire. J’ai eu du mal à lire son service, je suis assez dominé pendant deux sets. J’ai deux ou trois balles de set au 3e, mais je n’arrive pas à conclure. Un nouveau match aurait peut-être pu commencer, ça ne s’est pas fait. Sur le podium, on m’a reproché de faire la gueule, mais je venais de perdre une finale olympique, et on devait monter sur la boîte cinq minutes après. Je mesurais ce que je venais de manquer sur le coup : une finale perdue, ça reste un échec. J’ai vraiment savouré a posteriori, quelques heures plus tard, en festoyant avec les Barjots, puis en réalisant le retentissement que mon parcours avait eu en France. Finalement, on bascule ensuite assez vite dans l’euphorie.
Cathy Fleury : J’ai mis très longtemps à réaliser sur le podium. En tribunes, il y avait mes parents, mes frères, mon mari de l’époque. Je les cherche du regard pour partager, c’est tellement intense…Mon père a pleuré, je ne l’avais jamais vu faire ça, il n’arrivait même plus à parler…C’est là que tu réalises que ce n’est pas un moment que tu vis seulement pour toi, mais aussi pour et avec les autres.
"Cette breloque, j’ai eu un mal fou à la gagner" - D. Douillet
Sébastien Flute : J’ai dépensé pas mal de temps et d’énergie à essayer de ne pas perdre pied avec la réalité du terrain et forcément, après la dernière flèche tirée, j’ai des difficultés à basculer d’une seconde à l’autre dans un statut où je suis champion ! Le podium, c’est un peu un moment hors du temps, ça ne dure pas assez longtemps. Il y a La Marseillaise, tout ce flot d’émotions qui arrive. Et dès que La Marseillaise s’arrête, ça repart à bloc, c’est assez hallucinant. On est dans une sorte de maelstrom.
David Douillet : Je me souviens de la compétition comme si c’était hier ! J’en ai bavé des ronds de chapeau. Ma catégorie était hyper fournie. Il y avait des tauliers dans chaque pays. Pour la troisième place, je bats un Cubain qui s’appelait Moreno. Ce combat, je le gagne à l’arrache à la dernière seconde. Barcelone, ce sont les jeux des tripes pour moi. La compétition où j’ai été au plus profond de moi-même. Cette breloque, j’ai eu un mal fou à la gagner, alors forcément, c’est un truc de malade. Et d’ailleurs pour moi, le déclic se produit à Barcelone, je me dis que je suis capable de battre un costaud comme Moreno, et que si j’en bats plusieurs dans une compétition, alors je serai le chef.
Marie-José Perec, reine d’Espagne
Génération 1992
Claude Issorat : J’étais le petit nouveau à l’époque et j’ai remporté le 100, le 200 et le 1500 mètres ! Il y avait pas mal de nouvelles figures émergentes en handisport à Barcelone. D’autres jeunes loups qui s’étaient fait un nom dans d’autres disciplines.
Pascal Pinard : En 1992, c’est un renouvellement à 70% des athlètes. Les anciens ont vu la différence quand on est arrivés. Nos volumes d’entraînement étaient supérieurs, on avait une approche de la compétition plus “pro” que la génération qui nous a précédés. Quand on est arrivés et qu’ils ont vu la razzia de médailles qu’on a faite, ils se sont dit : “Oula, les jeunes, ils ont les dents longues et ils vont aller loin.”
Jean-Philippe Gatien : On sentait clairement qu’il y avait à Barcelone une forme de prise en main d’une nouvelle génération talentueuse, mais aussi pérenne, dans plusieurs disciplines. Pas mal de jeunes champions ont performé lors de ces Jeux, ça a installé de nouvelles têtes, qui ont duré par la suite comme Marie-Jo (Pérec), David (Douillet) et Galfione, qui ont tous gagné à Atlanta dans la foulée.
David Douillet : Marie-Jo Pérec, Galfione, Diagana, Esposito, moi. C’est le début d’une génération. J’ai la sensation que 1992, c’est le début de l’histoire pour la relève du sport français qui va briller dans les années 1990 jusqu’aux Jeux olympiques de Sydney. En 1992, on ne se connaît pas encore, mais quelque chose se crée. Je m’en aperçois après les Jeux quand je retrouve les autres médaillés à l’Élysée, sur les plateaux télé. Il existe une histoire commune. Et en 1996, à Atlanta, il y a une ambiance fraternelle, une émulation entre des athlètes français qui se connaissent. Tiens d’ailleurs, il y a les Barjots aussi.
"Ces JO ont tout chamboulé, c’est un peu le début de l’histoire" - J. Richardson
Jackson Richardson : C’est vrai que c’est la première médaille de l’histoire de l’équipe de France de hand. En 1990, aux championnats du monde en Tchécoslovaquie, on joue un match pour la 9e place à 10 heures du matin. Cette place est qualificative pour les Jeux olympiques. On gagne, et savoir qu’on sera les premiers à jouer les JO, c’est grand. Là, on est neuvième mondial, mais il faut se dire qu’avant, la France était au Mondial B. Le handball français n’existait pas aux yeux de l’Europe. On ne rivalisait pas avec les autres équipes, personne ne nous craignait, on était une petite nation qui sortait de nulle part. Le premier match qu’on joue contre l’Espagne, le pays organisateur, a été le déclic. Ils étaient favoris pour un podium, et on gagne grâce à notre cohésion collective, grâce à un jeu qu’on n’avait pas l’habitude de proposer. On a sorti la boîte à gifles et on s’est dit : “On sait que l’Espagne est meilleure que nous, mais on n’a rien à perdre.” On a surpris tout le monde et on s’est surpris nous-mêmes. Ça nous a permis de prendre conscience qu’on avait la capacité de faire quelque chose de beau. Et au bout, on est allé chercher cette troisième place. Ces JO ont tout chamboulé, c’est un peu le début de l’histoire.
Sébastien Flute : L’histoire des handballeurs français démarre vraiment à Barcelone. Plus généralement, il y a eu de très belles années sportives grâce à une génération d’athlètes qui est arrivée assez jeune à Barcelone. Puis les conditions étaient réunies pour que ça marque les esprits. Bien sûr, Barcelone, ça n’est pas la France, mais c’est juste à côté, ça parle aux gens, c’est le même créneau horaire, il y avait beaucoup de supporters tricolores.
L’auberge espagnole
Jean-Philippe Gatien : La configuration du village olympique à Barcelone était vraiment chouette, c’était proche du bord de mer, les espaces étaient assez aérés… L’ambiance était plus festive, plus douce aussi qu’à Séoul…Il y avait une sensation de bien-être qui émanait de l’ensemble.
Claude Issorat : Barcelone s’est démarqué par sa localisation : tu sortais du village et tu étais direct sur la plage. Je me suis baigné plusieurs fois d’ailleurs. L’ambiance de Barcelone était tout à fait particulière. Moi, je suis originaire de la Guadeloupe, chez moi c’est plus peace and love, donc cette atmosphère du Sud, ça me correspondait hyper bien.
Francisco Trujillo : On avait une plage privée pour les athlètes, un petit bout de mer rien que pour nous. On a été super bien accueillis par les gens, c’était sympa. C’était plus convivial qu’en 1996. À Atlanta, on n’était pas sortis des stades, qu’ils étaient déjà avec les visseuses/dévisseuses, en train de tout démonter. On avait l’impression de se faire dégager, c’était infernal.
Sébastien Flute : Il y avait un engouement dans la ville contrairement à Atlanta. Dans Barcelone, on sentait que la ville battait au rythme des jeux. Quand on allait en ville, ça bouillonnait, il y avait une ambiance, un enthousiasme des touristes et des locaux. À Atlanta, on passait presque inaperçus.
"Tous les soirs au village olympique, c’était la foire totale." - D. Douillet
Francisco Trujillo : Barcelone, c’était le top, la restauration était incroyable. Ayant des origines espagnoles, j’étais comme un poisson dans l’eau. La langue, les odeurs, dans les restaurants ça me parle. On allait se balader en ville avec les vélos, et les gens nous arrêtaient pour discuter, pour mieux comprendre le handisport, savoir comment ça fonctionnait. Moi, je suis originaire de Gibraltar, on me disait Trujillo, qu’est-ce que tu fais en équipe de France ? Mais je suis arrivé au Creusot quand j’avais 9 ans, mon père travaillait aux aciéries Schneider. La France m’a tout donné. J’ai des origines espagnoles, mais c’est La Marseillaise que me hérisse le poil des bras.
Patricia Picot : J’ai eu la chance de faire cinq Jeux. La spécificité de 1992, c’est que les jeux handisports étaient très festifs. En 1992, le village, ce n’était pas qu’une succession de salles de sports. On trouvait une boîte de nuit, des dancings, des salles de jeux vidéo, pas mal de choses pour faire la fête après la compétition…
Francisco Trujillo : Dans le village, il y avait un petit bal où des gens allaient danser tous les soirs. Il y a même eu un mariage, c’était grandiose.
David Douillet : Tu vois l’âme du pays dans lequel sont organisés les Jeux, en fait. L’âme espagnole, c’est festif. Tous les soirs au village olympique, c’était la foire totale. C’était l’enfer ! Il y avait des feux d’artifice tirés chaque soir, pour dormir il fallait s’accrocher, crois-moi.
Cathy Fleury : La fédération avait loué des appartements à 30 bornes de Barcelone. Il y avait deux gros apparts, on nous y avait installé un tapis de judo. C’était une bonne ambiance, mais on n’était pas dans le village.
David Douillet : Heureusement, sinon on aurait été rincés, c’était impossible de dormir. C’était le foutoir tous les soirs.
Claude Issorat : Ce qui a fait la différence en 1992, c’était le public. Le public de Barcelone, c’est le plus beau que j’ai connu. J’ai vu l’organisation refuser des spectateurs, parce qu’il y avait trop de monde en tribunes. C’était chaud, les Espagnols n’ont pas fait mentir leur réputation. Quand j’entrais dans l’arène, j’entendais le brouhaha… Pendant la course, j’y étais hermétique, sauf dans la dernière ligne droite. J’avais l’impression que quelqu’un avait soudainement monté le son, et le public m’a beaucoup aidé
Jean-Philippe Gatien : J’avais aussi été marqué par la salle dans laquelle on jouait. On évoluait dans une vieille gare, qu’ils avaient transformée en salle de sport à l’occasion…Ça résonnait énormément, et la proximité entre la France et Barcelone avait permis à beaucoup de Français de venir me soutenir…La salle bouillonnait en permanence, ça prenait aux tripes.
Pascal Pinard : Il y avait 8000 personnes en gradin à Barcelone, ça hurlait de partout. J’avais une caisse de résonance dans l’estomac. En plus, on disputait les épreuves dans un bassin extérieur…Moi, je retiens les couleurs, le ciel bleu.
Tapas, ramblas et fiesta
Sébastien Flute : J’avais 20 ans, c’était mes premiers Jeux. C’était une perpétuelle découverte et une découverte en deux temps. Dans le sens où il y a l’avant et l’après-médaille. L’avant-médaille, j’ai vu le Barcelone en mode jeux olympiques et puis après la médaille, j’ai vu le côté plus festif.
David Douillet : Ce qu’il y a de spécial, c’est qu’à Barcelone, il y a un petit air de vacances quand même. Il fait beau, c’est l’été, il y a des fêtes tout le temps. Il faut garder la tête froide. En fait, tu sens à l’odeur ce qui va t’arriver le lendemain de ta compétition, c’est-à-dire les vacances. Mais il reste l’essentiel à faire, c’est un peu chiant. (Rires.)
Laurent Tillie : Si on y va en se disant Barcelone, c’est festif, on se plante. Et on s’est plantés ! (L’équipe de France de volley est éliminée en phase de poules.) En bons Français qu’on est, on a l’image de Barcelone, la fête, le soleil, les tapas, les Ramblas. Je ne dis pas que c’était totalement comme ça, mais bon, il y avait une certaine coolitude qui n’était pas forcément compatible avec la performance sportive.
Sébastien Flute : Après ma médaille, j’étais sur un petit nuage. Comme je l’ai vécu encore plus fort, mon regard est peut-être biaisé. Mais j’ai le sentiment qu’il n’y avait plus vraiment d’heure, de notion de jour ou de nuit. Il y avait une telle douceur dans cette ville que vous sortiez d’une soirée à 4 heures du matin sans vous en rendre compte parce que vous étiez restés discuter ou boire un coup. En ville, il y avait toujours cette vie. En fait, c’était comme une très très longue journée. C’est ça ! Les trois ou quatre derniers jours sur Barcelone, c’était comme un jour sans fin, il y avait toujours un truc à faire, une épreuve à aller voir. Je me souviens d’avoir très peu dormi. J’avais une sorte de boulimie, il fallait en profiter à fond. C’était un moment magique.
Cathy Fleury : La fiesta ? Après mon titre, je suis rapidement allée rejoindre ma famille et le bus de supporters. Je suis allée tous les embrasser, montrer la médaille, ça nous a bien emmenés jusqu’à deux heures du matin. Après, je suis sortie sur les Ramblas, avec deux amis et mon mari de l’époque pour dîner. Je ne m’en souviens plus très bien, il ne me reste que des flashs tellement j’avais été emportée par le tourbillon d’émotions. Je suis rentrée vers 6 heures du mat’, mais vers 8 heures, Bertrand Damaisin (médaillé de bronze en 1992, NDLR) est venu sauter sur mon lit en me disant : “On l’a fait, on l’a fait Cathy !” Lui, il venait de rentrer, on avait combattu le même jour.
Jean-Philippe Gatien : Une fois la médaille en poche, je me suis fait une belle soirée avec les Barjots, dans un bar-boîte où se retrouvaient pas mal d’athlètes. Denis Lathoud, Frédéric Volle et Philippe Gardent étaient les maîtres de cérémonie…
David Douillet : Je ne raconte pas tout, mais croyez-moi, j’en ai profité, on s’est bien marré ! J’avais été reçu sur le Club Med 1, un bateau qui était à quai à la Barceloneta et qui était le siège du Club France, c’était déjà très chaud. Puis ça s’était fini très tard en ville après la visite de plusieurs établissements nocturnes, et Dieu sait s’il y en a à Barcelone. Je me souviens du retour au village à l’aube, avec les oiseaux qui chantent, le soleil qui se lève et la gueule de bois qui commence à pointer son nez. Là, je me dis qu’ il va falloir que j’éponge un peu et je me dirige directement vers le self qui est ouvert 24h sur 24. Et là, c’est le pied absolu, le self est immense comme une grande surface commerciale, et il y a toutes les bouffes du monde entier. C’est un truc de malade quand tu rentres de bringue. Ça change des trois pauvres œufs au plat que tu cuisines en rentrant chez toi avec la moitié de la salière qui tombe dedans parce que t’es encore très engourdi des mains !
"Trente ans après, il y a des anecdotes qui sont classées à vie !" - D. Douillet
Pascal Pinard : Vous êtes là pour représenter votre pays, être au top niveau, et on vous met sous le nez une boîte de nuit, un karaoké...Ce décalage était assez génial… À la fin des épreuves, on allait se prendre une mousse. C’était la fête, quoi ! J’avais une course par jour, donc par rapport à d’autres, je ne pouvais pas trop me laisser aller non plus. Je n’ai plus de souvenir précis en tête, mais le dernier soir, je me souviens quand même avoir bien trinqué avec les Espagnols.
Claude Issorat : Après ma dernière course, je ne vais pas vous mentir, j’ai quand même bien arrosé. On s’est fait une belle 3e mi-temps dans un bar avec l’équipe de France Je ne sais plus comment je suis rentré, mais je suis rentré.
David Douillet : Des anecdotes, j’en ai plein… Les athlètes ont une vingtaine d’années, les hormones à bloc. Tout le monde s’éclate, je ne vous fais pas de dessins. Trente ans après, il y a des anecdotes qui sont classées à vie !
Dream team et pétanque
David Douillet : Je suis à l’aéroport de Barcelone, on est en train d’attendre nos accréditations aux guichets. Je suis assis et tout à coup, j’entends le bruit de quelqu’un qui traîne son sac de sport par terre. Je ne lève pas tout de suite la tête, et le sac passe devant moi. Le type négligeait de porter son sac, ça le saoulait, il le traînait hyper nonchalamment. Je lève la tête, et en fait, c’était la Dream Team, toutes les stars de la NBA qui passent juste devant moi. Avec leur démarche pleine de nonchalance. Et là, je me dis waouh, qu’est-ce que c’est que ce truc ? D’un seul coup, comme si je m’étais pris un seau d’eau froide en pleine figure, je prends la mesure des jeux. Ah oui, c’est ça les Jeux olympiques !
Jackson Richardson : En 1992, le porte-drapeau américain, c’était Magic Johnson. Et à la cérémonie d’ouverture au stade, nous les Français, on n’était pas très loin des Américains. Alors je suis parti avec deux volleyeurs, armés de nos petits appareils jetables. Il y avait une ligne qui séparait Magic Johnson du reste de la délégation. Je commence à pousser pour aller prendre une photo de Magic. Et sans faire exprès, je pousse quelqu’un, et il me repousse. Moi, je dis : “Oh, ça va, je fais juste une photo !” Je tourne la tête, et en fait, c’était Carl Lewis ! (Rires.) En fait, j’ai bousculé Carl Lewis pour pouvoir prendre une photo de Magic Johnson. Tu vois le Français qui ne comprend rien… Du coup, je n’ai même pas demandé si je pouvais prendre sa photo, mais je l’ai prise tellement près que je l’ai en gros plan. (Rires)
Sébastien Flute : J’étais un peu jeune et très impressionné de voir des athlètes qu’on ne voit normalement qu’à la télé. Quand tu es archer, tu n’as pas l’habitude de croiser Steffi Graf ou Michael Jordan. Là, je tournais la tête et je voyais toutes ces stars. Et je me disais qu’au fond, j’avais la même médaille.
Laurent Tillie : Pour moi, au-delà de la Dream team, l’une des stars des jeux, c’était Javier Sotomayor. Sur le village olympique, il y avait un stade d’entraînement d’athlétisme. Je me régalais à aller voir les athlètes s’échauffer. J’ai des images assez marquantes de Sotomayor à la hauteur.
Là, tu te dis : “Bah, en fait, on est tous pareils, quoi.” - J. Richardson
Cathy Fleury : Bien sûr, la Dream Team en imposait. Mais je me souviens aussi d’avoir été impressionnée par Alexander Aleksandr Karelin, un lutteur russe exceptionnel, peut-être le plus grand de l’histoire de la discipline.
Jackson Richardson : Sur le village, il y avait un terrain de pétanque, et tous les Français y jouaient. Un soir, avec quelques handballeurs, des athlètes et des judokas, on fait une partie de boules. À un moment, il y a un mec qui vient nous voir, qui s’approche, il portait le survête américain, mais on ne le calculait pas trop. Lui nous regardait en mode “qu’est-ce qu’ils font avec leurs boules de fer”, il était curieux. Et à un moment, je me dis : “Mais attends, c’est Charles Barkley !” Ce sont des choses magiques. Charles Barkley, d’habitude, on le voit à la télé, et là, il nous regarde jouer aux boules… Plus tard, on va manger au réfectoire, et devant moi, je vois Jim Courrier avec son plateau ! Ça, c’est magique. Ce sont des stars mondiales, et là, on les voit comme ça. Là, tu te dis : “Bah, en fait, on est tous pareils, quoi.” Ces gens viennent dans le village parce qu’ils veulent vivre cette ambiance. Au-delà de ce qu’ils sont, ils ont envie d’être des êtres humains. C’est ça qui est beau dans la valeur des Jeux olympiques.
Propose recueillis par Arthur Jeanne