L’autre pays du judo

par A. Bentaha, T. Binet, M. Brigand

Temps de lecture22 min

Temps des médias4 min

Le casting

Né et démocratisé au Japon, le judo s’est trouvé de nombreuses terres d’accueil Parmi elles, la France en a fait un modèle de réussite impressionnant, au point que la discipline est la deuxième pourvoyeuse de médailles tricolores aux Jeux Olympiques depuis son apparition, en 1972. Mais comment ? Les judokas et judokates tricolores racontent

Par Adel Bentaha, Tom Binet et Maxime Brigand

Le casting : 

Frédérique Jossinet : Médaillée d’argent aux JO d’Athènes (2004), trois fois championne d’Europe (2001, 2002, 2009), vice-présidente de la Fédération française de judo.

Angelo Parisi : Médaillé d’or aux JO de Moscou (1980), deux fois médaillé d’argent aux JO de Moscou et Los Angeles (1984), trois fois champion d’Europe (1977, 1983, 1984)

Thierry Rey : Médaillé d’or aux JO de Moscou (1980), champion du monde (1979), champion d’Europe (1983)

Catherine Fleury : Médaillée d’or aux JO de Barcelone (1992), championne du monde (1989), championne d’Europe (1989).

Larbi Benboudaoud : Médaillé d’argent aux JO de Sydney (2000), champion du monde (1999), deux fois champion d’Europe (1998, 1999), entraîneur en équipe de France (2012-2022)

Sandrine Martinet : Médaillée d’or aux Jeux paralympiques de Paris (2016), deux fois médaillée d’argent aux Jeux paralympiques d’Athènes et Pékin (2004, 2008).

Stéphane Nomis : Vice-champion de France (1995, 1996, 1997), Président de la Fédération française de judo.

Une école de la vie

salue sur le tatamis

© 1988 / Comité Olímpico Angolano

 

Thierry Rey : Je suis arrivé au judo comme quasiment tous les mômes. C’était en 1969, dans un club de Seine-et-Marne, à 35 bornes de Paris, à Lagny-sur-Marne. Un médecin de famille, dont les enfants faisaient du judo, avait dit à mes parents que c’était un sport qui permettait de canaliser l’énergie. Ça avait bonne réputation et il me fallait un truc pour que j’apprenne à écouter. Au départ, j’étais réticent à y aller. Je me demandais ce que je faisais là, dans cet univers inconnu, qui est quand même spécial. Le judo, c’est très parascolaire. Il aide à calmer les nerveux, permet aux timides de s’exprimer, apprend à travailler avec quelqu’un d’autre et même avec le corps de quelqu’un d’autre, le tout avec des mots japonais et une procession puisqu’avant de monter sur le tapis, tu dois apprendre à saluer. La première image est souvent celle-ci : tu es face à un grand mec, qui porte une ceinture noire, qui te dit de mettre tes mains sur tes cuisses et tu dois l’écouter. Dans les familles, on aime que son enfant passe par le judo. 

"Au judo, on n’est pas seul dans son coin. On fait partie d’un groupe" Catherine Fleury

Catherine Fleury : C’est très vrai. Le cadre de notre discipline est tenu par des valeurs éducatives reconnues, très appréciées par les parents et c’est ce qui fait le cœur du succès du judo en France. À la base, c’est un sport individuel, mais il ne peut se pratiquer qu’en collectif. Au judo, on n’est pas seul dans son coin. On fait partie d’un groupe, où l’on se nourrit mutuellement et ça devient un art de vivre, un milieu dans lequel on peut s’épanouir. Je pense même que le judo est un sport que l’on n’arrête jamais. On reste judoka toute sa vie. 

Stéphane Nomis : Le directeur général de Renault disait que la richesse du judo, c’est qu’il est intergénérationnel. La mémoire de ce sport, le respect, la culture, c’est un truc qui perdure. 

"nous sommes devenus des frères d’armes" Larbi Benboudaoud

Larbi Benboudaoud : La réussite est aussi sociale. En France, vous avez une population qui brasse de multiples nationalités, de multiples origines sociales et de multiples environnements culturels. Moi, quand je combattais, je me retrouvais à faire équipe avec : David Douillet, qui venait du fin fond de la Normandie ; Djamel Bouras, un mec de Lyon ; et moi, je venais du 93. Que des personnalités différentes. Malgré tout, nous sommes devenus des frères d’armes et ça résume l’universalisme qu’a atteint le judo en France.

Le complexe d'infériorité

Le Japonais Kenzo Nakamura remporte l'or en judo 71 kg hommes

©GettyImages

Le Japonais Kenzo Nakamura remporte l'or en judo 71 kg hommes

 

Angelo Parisi : Le Japon et l’URSS ont, bien sûr, longtemps été les mastodontes du judo mondial et de façon très claire, au point que beaucoup de judokas étaient pétrifiés à l’idée d’affronter un athlète de ces pays. Il a fallu faire un vrai travail psychologique pour pouvoir surpasser cette peur qui était assez inexplicable.

" Il a fallu faire un vrai travail psychologique pour pouvoir surpasser cette peur" Angelo Parisi

Sandrine Martinet : Ces craintes sont assez bêtes, c’est vrai. Au para judo, les pays dominants viennent d’Asie centrale, que ce soit le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan, et du Caucase, avec la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Le postulat de départ, là-aussi, était qu’il fallait absolument craindre ces nations. Du moins, il fallait se préparer différemment que lors d’un combat face à une athlète d’un autre pays. Je me mettais donc une pression inutile, ce par crainte. 

Angelo Parisi : Pendant la moitié du XXe siècle, voilà le contexte dans lequel le judo français a tenté d’exister : les Japonais avaient une technique au-dessus de la moyenne, avec un plus petit gabarit et donc une plus grande agilité ; les Soviétiques, eux, étaient plus puissants, mélangeant judo et sambo, donc au sol, s’ils vous attrapaient, considérez que c’était fichu. 

"On a vu des Français battre des Japonais, résister aux Japonais…" Thierry Rey

Thierry Rey : En 1971, il y a des championnats du monde, à Ludwigshafen, et les Japonais gagnent presque tous les titres. J’avais des revues spécialisées, tout le monde ne parlait que de ça. À l’époque, il y avait cinq catégories et le Japon régnait sur quasiment tout. Puis, il y a eu des percées. Je me souviens d’ailleurs que la même année, en 1971, mon père m’a emmené à Coubertin voir une compétition appelée “France Kansai”, le Kansai étant une province de l’ouest du Japon. Ce jour-là, la France a gagné dans un Coubertin qui était en feu, avec une ambiance incroyable. Ça a été un moment magique. On a vu des Français battre des Japonais, résister aux Japonais… Jean-Paul Coche avait fait match nul avec le champion du monde, Shozo Fujii. Ça a été un premier moment fort, très révélateur, et l’année suivante, la France a eu ses premières médailles olympiques, à Munich.

Le déclic

Zaprianov (dimitar) parisi (angelo) pour l'or à Moscou 1980

©Pressesports

Zaprianov Dimitar et Parisi Angelo pour l'or à Moscou 1980

 

Angelo Parisi : Moi, ce qui m’a aidé, ce sont mes origines. J’ai grandi en Angleterre, avec des parents italiens, donc quand j’arrive sur le circuit international, je n’ai pas ce blocage psychologique que peuvent avoir mes coéquipiers français. J’ai une confiance italienne, un flegme anglais, et autour, une “french touch” commence à germer. Le tournant se situe vraiment dans les années 80 car à force d’expérience, nous avons réussi à allier la technique japonaise et la puissance des pays de l’Est pour enfin avoir une identité de combat. Notre patte, c’est de finir le plus de combats possibles en ippon. C’est risqué, mais c’est finir en beauté. La seule chose qui manquait, c’était un exemple, une référence, et je l’ai amené en prenant l’or à Moscou, en 1980, la même année que Thierry Rey. Là, on lance une tradition, on brise un plafond de verre. 

"Notre patte, c’est de finir le plus de combats possibles en ippon." Angelo Parisi

Sandrine Martinet : Il fallait des exemples de réussite. Il y a eu Angelo, mais il y a surtout eu David Douillet. Au para judo, le développement a été plus lent, mais on a fini aussi par se dire, vers le début des années 2000 : “Ok, on a une énorme nation de judo.

Larbi Benboudaoud : Le maillage du territoire a aussi fait la différence. On a réussi à importer la tradition japonaise en France et c’est un exploit monumental. Aujourd’hui, où que vous alliez, que ce soit dans une grande ville ou au fond des Deux-Sèvres, vous trouverez un club de judo. C’est là que la France a frappé fort et rattrapé son retard. 

Frédérique Jossinet : Il n’y a aucune prétention à dire que l’on est devenu l’autre pays du judo. D’ailleurs, l’un des premiers pays occidentaux que les entraîneurs et éducateurs japonais ont choisi d’aider, c’est la France. Vous avez énormément de maîtres qui sont venus s’installer à Paris durant la première moitié du XXe siècle afin d’y ouvrir des écoles.

Stéphane Nomis : La vraie bascule, à mes yeux, c’est les années 90. Elle s’explique par la mise en place, vingt ans plus tôt, d’un nouveau système, avec des moyens humains et financiers, qui a fini par donner des résultats. 

" On nous a formaté pour claquer des médailles" Thierry Rey

Thierry Rey : Après Moscou, ça a été clair. Le judo français est devenu sérieux et a pu rivaliser au très, très haut niveau. Il y a eu Angelo, Yves Delvingt, Bernard Tchoullouyan, Michel Sanchis, Jean-Luc Rougé, moi… Il y a eu une énergie de vainqueurs, en fait. On nous a formaté pour claquer des médailles. Puis, il y a également eu le développement du judo féminin, qui a vite été extraordinaire.

De génération en génération

Teddy Riner et David Douillet

©Pressesports

Teddy Riner et David Douillet

 

Frédérique Jossinet : Nous avons ce que j’appelle des “marqueurs de réussite”. L’un de ceux que l’on oublie souvent, ce sont les JO de 1992. On ramène six médailles, dont deux en or chez les filles, et j’ai l’impression que ça lance un cercle vertueux. Lorsque j’entame ma carrière internationale, j’ai 16-17 ans, et c’est cette compétition qui me sert de repère. J’arrivais sur les tapis face à des Japonaises et je n’avais pas peur.

"J’arrivais sur les tapis face à des Japonaises et je n’avais pas peur" Frédérique Jossinet

Stéphane Nomis : On est forts sportivement, mais pas que. On a un autre atout, c'est que dans les années 1960 et 1970, mes prédécesseurs ont créé un modèle du judo français qui est unique. 

Lari Benboudaoud : À partir des années 2000, nos judokas avaient suffisamment d’exemples de réussite chez leurs aînés. Quand tu intègres le circuit international en sachant qu'avant toi, Angelo Parisi, Frédérique Jossinet, Thierry Rey ou David Douillet ont gagné, tu n'as plus de raison de craindre qui que ce soit. Résultat, la tradition a perduré avec Teddy Riner, Clarisse Agbegnenou… 

"Teddy Riner a dynamisé le judo français, comme Clarisse Agbegnenou." Stéphane Nomis

Thierry Rey : La chance du judo, aussi, c’est de passer en première semaine aux JO, d’ouvrir le bal. Il doit créer l’engouement, comme la natation ou l’escrime, envoyer une énergie, donner un signal au reste. Globalement, à part à Athènes, en 2004, ça a toujours cliqué.

Stéphane Nomis Au golf ou au tennis de table, ils ont aussi des références, mais ils n’ont pas ce qu’a le judo : des numéros 1 mondiaux. Le plus grand judoka de tous les temps ? Il est Français. La référence mondiale du judo ? Elle est Française. Ça permet d’être exigeant. Teddy Riner a dynamisé le judo français, comme Clarisse Agbegnenou. Ils tirent tout le monde vers le haut, ce sont des locomotives. 

La nation à abattre

Première nation sacrée aux Jeux Olympiques dans l'épreuve mixte par équipes de judo- Tokyo 2020

©Pressesports

Première nation sacrée aux Jeux Olympiques dans l'épreuve mixte par équipes de judo- Tokyo 2020

 

Sandrine Martinet : La France est clairement l’autre pays du judo, tant dans les résultats que la pratique, avec un système éducatif très poussé et une vraie culture, typiquement française. Il y a vingt ans, quand on pensait au judo, on pensait au Japon. Désormais, on pense de plus en plus à la France, et en tant que judoka, c’est une fierté. Ce qui me fait d’autant plus plaisir, c’est de voir que les filles sont parvenues à devenir des références, que ce soit en valide ou en para.

"La France est clairement l’autre pays du judo" Sandrine Martinet

Larbi Benboudaoud : L'une de nos réussites les plus notables reste le succès en mixte à Tokyo. C'est le symbole de toute l'efficacité du judo français, cela signifie que nos filles et nos garçons sont les meilleurs du monde. D’un point de vue global sur cette édition 2020, il faut se rendre compte de l'exploit que c'est, de ramener huit médailles à son pays, sur une seule discipline.

Frédérique Jossinet : L’un des marqueurs de la réussite du judo français, c’est qu’aujourd’hui la France est devenue un label. Énormément de pays viennent faire des stages en France ou nous prennent certains entraîneurs pour former leurs jeunes. Les États-Unis, par exemple, nous sollicitent énormément. Pour moi, au-delà de la reconnaissance, c’est surtout une marque de légitimité exceptionnelle concernant le judo français.

"aujourd’hui la France est devenue un label" Frédérique Jossinet

Larbi Benboudaoud : Avant, les modèles éducatifs à suivre étaient russes ou japonais. Aujourd’hui, ils sont français. Les pays émergents s’inspirent de nos académies, de nos méthodes, et on en voit les résultats. Au niveau mondial, il n’y a plus de « petites nations » comme on dit.

Catherine Fleury : La France est reconnue de manière claire pour la qualité de sa formation, la fédération monte des projets en partenariat avec son homologue japonaise, nous nous enrichissons les uns et les autres, il y a des échanges constants avec les autres équipes et je crois que c'est comme ça que le niveau du judo mondial s'élève. Le fait que les Jeux soient à Paris peut créer des déclics, un peu comme pour le foot, où les matchs penchent généralement plutôt du côté de l'équipe à domicile. En plus de nos capacités déjà très hautes, nous espérons bénéficier de ce phénomène.

"On est la référence pour les autres nations, l'équipe à battre, plus que le Japon" Stéphane Nomis

Stéphane Nomis : On est la référence pour les autres nations, l'équipe à battre, plus que le Japon. Les autres veulent vraiment notre peau. C'est flatteur. Beaucoup de gens préfèrent être outsiders, mais c'est bien d'arriver en tant que leaders. On assume notre statut.

Découvrez également

Lien youtube de l'Équipe de FranceLien twitter de l'équipe de Francesocial_network.efd_thread_link

Suivez-nous

Lien Facebook de l'équipe de FranceLien Instagram de l'équipe de Francesocial_network.edf_tiktok_link

Notre palmarès

690

717

760


Partenaires Mondiaux

  • Airbnb
  • Alibaba
  • Allianz
  • Atos
  • Bridgestone
  • COCA-COLA / MENGNIU
  • Deloitte
  • Intel
  • Omega
  • Panasonic
  • P&G
  • Samsung
  • Toyota
  • Visa

Partenaires Premium

  • ACCOR
  • Groupe BPCE
  • Carrefour
  • EDF
  • Le Coq Sportif
  • LVMH
  • ORANGE
  • Sanofi

Partenaires Officiels

  • Groupe ADP
  • Air France
  • ArcelorMittal
  • Caisse des Dépôts
  • Cisco
  • Danone
  • FDJ
  • GL Events
  • Île-de-France Mobilités
  • PWC